Birmanie-Myanmar : changement rapide… et fragile !

Chronologie et histoire récente de la Birmanie

, par CRISLA

Chronologie

Les Britanniques ont mené plusieurs guerres (1824, 1852 et 1885) et ont annexée la Birmanie comme province de l’Inde Britannique en 1886.
De nombreuses révoltes ont éclaté à partir de 1930.

1941 : Aung San forme l’armée pour l’indépendance birmane, alliée à l’armée japonaise, contre les Anglais.

1945  : les Japonais sont chassés de Birmanie . Les Britanniques entament des négociations avec Aung San.

1947  : Accords avec Aung San pour l’indépendance. Consensus de Panglong pour un Etat multiethnique : « L’unité dans la diversité » mais Aung San est assassiné le 19 juillet avec une partie de son gouvernement.

1948  : indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne ; U Nu devient le Premier ministre.

1948-1958 : combats entre l’armée régulière et divers partis et mouvements.

1952  : premières élections nationales – l’Anti-Fascist People’s Freedom League (AFPFL) obtient 60% des suffrages. U Nu conserve son poste de 1er ministre.

1956  : secondes élections générales. L’AFPFL obtient 55% des votes.

1958  : divisions au sein de l’AFPFL, U Nu annonce qu’il invite le général Ne Win et l’armée à former un gouvernement de salut public.

1960  : 3èmes élections générales. Le parti de U Nu reçoit 52% des suffrages contre 30% pour l’AFPFL.

1962  : l’armée renverse le gouvernement et s’empare du pouvoir. Un conseil révolutionnaire investit Ne Win des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. "La voie birmane vers le socialisme" devient la base idéologique du régime.

1962-1987 : régime militaire de Ne Win : répressions des revendications séparatistes ; politique d’endiguement ; répression de la liberté d’expression ; emprisonnements des opposants ; nationalisation de tous les secteurs de l’économie ; plusieurs phases de démonétisation sans compensations, déclin rapide de l’économie.

1988  : importantes manifestations étudiantes contre le gouvernement culminant le 8 août en s’étendant à tout le pays associées à une grève générale. En septembre Aung San Suu Kyi tient ses premiers meetings. Création de la National League for Democracy (LND). Ne Win démissionne et la loi martiale est décrétée. L’armée prend le pouvoir et instaure le State Law and Order Restoration Council (SLORC). La répression est organisée par le nouveau régime.

1989  : changement de nom officiel du pays en Union de Myanmar. Rangoon devient Yangon. L’opposition birmane et les pays occidentaux choisissent de conserver le terme Birmanie.

1990  : la Birmanie achète du matériel militaire chinois pour une valeur estimée à plus de un milliard de dollars. Des élections sont organisées. La LND obtient la majorité des suffrages exprimés. Le SLORC change les termes des élections a posteriori affirmant que le transfert du pouvoir ne pourra avoir lieu qu’après l’adoption d’une Constitution. La répression continue. Formation d’un gouvernement en exil.

1991  : Aung San Suu Kyi reçoit le prix Nobel de la paix. Elle passera la majeure partie de son temps en résidence surveillée jusqu’en 2008.

1992-2008 : le régime poursuit sa politique répressive et dictatoriale. Les rebellions ethniques hésitent entre accords avec le régime et combats armés. Plusieurs émissaires de l’ONU se succèdent sans parvenir à instaurer un réel dialogue entre le régime et l’opposition. Début des sanctions occidentales à l’encontre de la Birmanie qui se durciront d’années en années. La Chine continue de fournir des armes aux militaires birmans.

1992  : le général Than Shwe prend la tête de l’appareil militaire jusqu’à 2008, secondé par le général Khin Nyunt, chef des services de renseignements.

1995  : La Birmanie et la Thaïlande signent un accord relatif à la construction d’un gazoduc pour acheminer le gaz birman extrait par des sociétés pétrolières occidentales.

1997  : La Birmanie devient membre de l’ASEAN. Les pays de l’ASEAN et le Japon s’engagent dans une politique "d’engagement constructif" avec le régime birman. Le nom du SLORC est changé en State Peace and Development Council (SPDC).

1998  : l’OIT dénonce les pratiques de travail forcé généralisées.

2004  : le général Khin Nyunt, relativement ouvert au dialogue, est arrêté et assigné à résidence. Ses sympathisants sont purgés de l’administration.

2005  : la capitale birmane est déplacée de Rangoon à Nay Pyi Daw, une nouvelle agglomération créée de toute pièce au centre du pays.

2006-2007 : projet de résolution à l’ONU suite à une motion américaine appelant à l’inscription de la Birmanie sur l’agenda permanent du Conseil de Sécurité – double veto russe et chinois.

2007  : prorogation du maintien en résidence surveillée d’Aung San Suu Kyi. Signature d’un accord avec la Russie pour la construction d’un centre de recherches nucléaires en Birmanie. Augmentation brutale des prix des carburants en août. Importantes manifestations des moines bouddhistes en septembre ("révolution safran"), réprimées dans le sang.

2008  : le cyclone Nargis frappe durement la région du delta en mai. Le régime birman freine l’aide internationale. Les moines bouddhistes sont particulièrement actifs pour l’aide intérieure. Bilan estimé : 138 000 morts.
Cela n’empêche pas la junte d’organiser un référendum sur une nouvelle constitution, approuvé par 92,4% des électeurs. L’opposition dénonce des irrégularités et fraudes massives. La nouvelle constitution confirme la place des militaires au gouvernement et écarte Aung San Suu Kyi du jeu politique, mais promet des élections pour 2010.

2009  : Alors que l’armée regroupe 400 000 militaires, Les Etats Unis et l’Union Européenne manient la carotte et le bâton, sans beaucoup de succès : allégement des sanctions contre libération des prisonniers politiques et ouverture démocratique.

En février, au sommet de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud Est), les représentants Droits de l’Homme birmans et cambodgiens ne sont pas admis : l’urgence est à la crise économique. Mais, en octobre, l’ASEAN crée une commission intergouvernementale sur les Droits de l’Homme et exhorte la Birmanie à organiser des élections. En décembre, Chine et Birmanie signent l’accord pour la construction de l’oléoduc et du gazoduc Golfe du Bengale-Yunan. L’influence commerciale chinoise augmente rapidement.

En mai, un américain s’introduit à la nage dans la propriété de Aung San Suu Kyi ce qui donne prétexte à la junte pour l’emprisonner et ouvrir un procès qui se déroule en juillet. Elle sera de nouveau assignée à résidence chez elle, mais maintiendra contacts et entretiens avec la junte, ainsi qu’avec le secrétaire d’Etat américain Kurt Campbell, en novembre.

Human Rights Watch estime à 2 200 le nombre de prisonniers politiques, dont 240 moines. 50 nouvelles arrestations dont 10 journalistes en octobre mais la junte annonce la libération de 7000 détenus en septembre (droit commun).
La rébellion Karen (KNU) commet des attentats à Rangoon, ce qui ravive la répression dans leur zone. Reprise des combats avec les Kachin et les Wa au nord.

2010 : Début d’ouverture.
En mars, le régime annonce que les élections auront lieu en novembre, que les moines n’auront pas le droit de voter et que les partis ayant des dirigeants en prison ne seront pas reconnus. En conséquence, Aung San Suu Kyi annonce que son parti, le LND, boycottera les élections. En mai, la junte annonce donc la dissolution de ce parti et les Etats Unis la poursuite des sanctions. Des dissidents de ce parti créent un nouveau parti, la NDF (Force Nationale Démocratique) qui participera aux élections.
En avril, le premier ministre Thien Sein se retire de l’armée et fonde un nouveau parti, l’USDP.
En juin, rencontre Chine-Myanmar à Naypyidaw entre Than Swe et Wen Jiabao.
En juillet, les chefs de la junte sont accueillis en Inde.
Le 7 novembre, élections générales sans observateurs étrangers. 37 partis sont reconnus. 25% des sièges sont réservés à l’armée et 80% des voix vont au parti de l’armée l’USDP, mais les élections ne sont pas organisées dans les régions rebelles (Kachin et Wa au nord et Karen au sud-est). Le 13 novembre Aung San Suu Kyi est libre de ses mouvements.

2011  : Tout s’accélère !
En janvier, 1100 députés siègent, dont 79% liés à l’armée. Les députés de l’opposition soulèvent les questions de corruption et des combats contre les minorités.
Aung San Suu Kyi demande la libération des prisonniers politiques, condition pour obtenir la levée des sanctions internationales.
Le 29 mars, la junte s’auto-dissout. Le SPDC (ex SLORC) disparaît, Than Swe et Maung Aye quittent l’armée. Thien Sein devient président.
En mai, libération de 17 000 détenus.
Le 19 août, Aung San Suu Kyi rencontre Thien Sein et appelle au cessez le feu avec les mouvements de rébellion des minorités. Le parlement réclame une amnistie générale des prisonniers politiques.
En septembre, Thien Sein annonce l’abandon du méga-projet de barrage de Myitsone (sur l’Irrawaddy, Etat Kachin) de China Power Invest Corp.
En octobre, 6 300 libérations de prisonniers, dont 200 politiques.
En novembre, les manifestations peuvent être autorisées avec accord cinq jours avant, reconnaissance des droits syndicaux et de grève.
En décembre, Hillary Clinton rencontre Thien Sein et Aung San Suu Kyi.
Cessez le feu avec l’Etat Shan du Sud mais reprise des combats dans l’Etat Kachin après 17 ans de paix.

2012  : Début de démocratie, mais pas pour tout le monde
En janvier, 300 opposants sont libérés, dont le blogger Nay Phone Latt.
En février, cessez le feu fragile avec les Karens du KNU et avec les Môns.
La LND est autorisée à mener une campagne électorale en vue des élections partielles. Des observateurs étrangers seront présents à ces élections.
Elections partielles le 1er avril. La LND recueille les 40 sièges à pourvoir. Aung San Suu Kyi est élue avec 82% des voix de sa circonscription (Kahwmu).
L’Union Européenne suspend ses sanctions pour un an (sauf l’embargo sur les armements) et les Etats Unis assouplissent les leurs et nomment un ambassadeur en Birmanie.
En juin ; voyage de Aung San Suu Kyi en Europe : elle reçoit enfin son prix Nobel de la paix à Oslo. En septembre, elle se rend à Washington et rencontre Barak Obama et Hillary Clinton.
En septembre, Thien Sein est accueilli à l’ONU.
En octobre il ouvre la porte aux Investissements Directs Etrangers et à l’achat de sociétés birmane (à hauteur de 50%)
En novembre, visites en Birmanie de Barak Obama et de Manuel Barosso. Nouvelle libération de 450 détenus politiques. Les journaux privés sont autorisés en décembre.
Le droit de manifester s’exerce : en mai contre les coupures d’électricité, en septembre pour la paix avec les Kachins, en décembre, à Mandalay, contre l’extension d’une mine de cuivre (consortium Chine-Armée). La liberté de la presse progresse.

La situation des minorités ne s’arrange pas, en particulier pour les musulmans de l’Etat d’Arakan, les Royingyas (80 000 apatrides) : pogroms et état d’urgence à partir de juin ; camps de déplacés et boat people dans le golfe du Bengale.
Nouvelles offensives contre les Kachin au Nord et contre les Môns au Sud.
En décembre, un accord de cessez le feu est conclu avec les rebelles Shan du Sud, producteurs d’opium, dans le cadre de la lutte contre la drogue.

2013  : Confirmation ? En tous cas les entreprises se précipitent.
En janvier, appel à la paix de l’évêque kachin de Myithyia.
En février, Aung San Suu Kyi appelle le gouvernement à octroyer la citoyenneté aux Rohingyas (musulmans de l’Etat d’Arakan).
Première tournée européenne de Thien Sein ; il demande une levée définitive des sanctions de l’union Européenne.
En mars, congrès de la LND. Aung San Suu Kyi est réélue présidente du parti.
Lancement du premier recensement de la population depuis 30 ans !
En avril, les exactions contre les musulmans touchent le centre du pays.
L’Union Européenne lève les sanctions politiques et économiques (à l’exclusion de l’embargo sur les armements). Cette décision est contestée par des ONGfrançaises qui pensent que c’est pour l’intérêt des entreprises européennes.
En mai, Thien Sein est reçu par Obama à Washington.
Les investissements étrangers sont multipliés par 5 en un an (1,4 milliards $).

Histoire

Après un glorieux passé monarchique, la colonisation britannique (1824-1948) a été largement sous traitée à l’empire des Indes (ce qui explique une indianophobie persistante). Le mouvement nationaliste birman a d’abord été marqué par le gandhisme non violent mais, dès les années 1930 il s’est radicalisé sur le modèle fasciste et guerrier du Japon. Aung San (le « père de l’indépendance birmane ») et ses « trente camarades » ont été formés par le Japon avant de créer les forces armées birmanes « Tatmadaw », d’abord alliées des forces d’occupation japonaises (1942-1945) avant de se retourner contre elles et d’obtenir du gouvernement britannique une assemblée constituante en janvier 1947. Hélas, Aung San fut assassiné par ses pairs en juillet 1947, avant la célébration de l’indépendance en janvier 1948. Cette armée marquée par le nationalisme et la xénophobie restera la colonne vertébrale du pays et s’organisera en puissant conglomérat économique et financier.

La Birmanie a donc gagné son indépendance en 1948 dans des conditions précaires, les différentes composantes ethniques de la société birmane arrivant difficilement à s’entendre pour former un gouvernement représentatif. En 1962, le coup d’Etat militaire dirigé par le Général Ne Win arrache le pouvoir à un gouvernement élu mais divisé et isole le pays du reste du monde à travers une dictature militaire.

Deux décennies d’enlisement politique : 1988-2008

Ruinée par une économie en plein marasme et une dévaluation massive, la population descend pacifiquement dans la rue le 8 août 1988 avec une grève massivement suivie pour réclamer la démocratie. Ces manifestations font émerger la figure de l’opposante non-violente Aung San Suu Kyi sur la scène internationale. Le gouvernement militaire répond aux manifestations par une répression tragique faisant plusieurs milliers de morts dans l’ensemble du pays.

Cette répression retransmise par les télévisions du globe, oblige le pouvoir à convoquer des élections nationales en 1990. Lors de ces élections, la National League for Democracy (LND) menée par Aung San Suu Kyi remporte la majorité des sièges. Cette victoire de l’opposition démocratique n’est pas acceptée par la junte qui effectue de nombreuses arrestations des nouveaux élus.
Le parti victorieux se trouvant dans l’impossibilité de former un gouvernement, confie cette tâche à certains de ses représentants qui rejoignent les zones contrôlées par les groupes d’opposition ethniques, le long de la frontière thaïe. Ces représentants établissent le NCGUB (National Coalition Government of the Union of Burma), dont le Premier ministre, M. Sein Win, est actuellement réfugié aux Etats-Unis.

Depuis, Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la Paix en 1991, s’est vue assignée à résidence quasiment en continu, symbolisant ainsi le caractère répressif de la junte sur l’ensemble de la population.

En août 2007, la junte augmente subitement le prix du carburant de +66% à +535% selon le type de carburant. Cette hausse brutale se fait immédiatement sentir sur les prix des transports publics et de certains produits de base en raison des coûts de transport élevés. Cette flambée des prix est l’élément déclencheur, en septembre 2007, d’importantes manifestations des moines bouddhistes dans les principales villes du pays. Les étudiants et le reste de la population se joignent peu à peu aux moines jusqu’à ce qu’une foule de 200 000 personnes manifeste dans les rues de Rangoon et vienne stationner devant la résidence d’Aung San Suu Kyi. Dans les jours qui suivent, la junte réprime dans le sang le mouvement de protestation, tuant au moins 200 personnes et en emprisonnant plus de 6000 (dont beaucoup de moines).

Les événements de septembre 2007 sont, bien sûr, encore dans les esprits et la junte n’a fait que se crisper davantage depuis, comme on a pu s’en apercevoir en mai 2008 lors de la catastrophe du cyclone Nargis dans la région du delta de l’Irrawaddy. L’accès des organisations humanitaires aux victimes du cyclone a été particulièrement difficile, témoignant encore de l’incapacité de la junte au pouvoir d’ouvrir le dialogue.

Ainsi, les tentatives de négociations initiées par l’opposition démocratique ou soutenues par les Nations Unies n’ont guère eu d’effet jusqu’à présent, les généraux ne semblant pas être sensibles aux pressions internationales.

Enfin un début de transition

Les dirigeants birmans ne souhaitent pas une mainmise exclusive de la Chine sur leurs ressources et ils veulent un pays plus présentable en vue de présider l’ASEAN en 2014 et d’organiser de nouvelles élections en 2015. Ils sont entourés de géants démographiques et économiques : La Chine, l’Inde et la Thaïlande. Ceux-ci sont réticents à accueillir durablement les camps de réfugiés. Il y aurait 1,7 millions d’émigrés birmans en Thaïlande dont seulement 500 000 avec un permis de travail. Les dirigeants souhaitent donc élargir leurs partenariats avec les Etats-Unis et l’Union Européenne.

Aung San Suu Kyi jouit toujours d’une grande popularité à la fois dans son pays et à l’étranger. Bien qu’elle ait passé 15 ans en résidence surveillée ou en prison depuis son retour en Birmanie en 2008, elle garde toujours contact avec l’armée qui doit la ménager en tant que fille du « père de l’indépendance ». Elle maintient son engagement non-violent envers et contre tout et attend patiemment son heure tout en profitant de toutes les opportunités pour avancer avec son parti la LND.
On peut donc espérer un jeu gagnant-gagnant entre Tien Sein et Aung San Suu Kyi, permettant l’ouverture du pays et sa reconnaissance internationale.

Le gros problème qui demeure depuis que la junte s’est auto-dissoute est celui des minorités et des rébellions aux frontières. On peut se demander si Thien Sein est maître du comportement de l’armée, toujours aussi brutal dans ces zones. On peut aussi s’interroger sur la solidarité de la LND et de Aung San Suu Kyi avec les minorités et particulièrement avec les Rohyingyas musulmans de l’Etat d’Arakan, à la frontière avec le Bangladesh. La reprise des hostilités dans l’état Kachin est aussi très préoccupante.