Changement climatique : un débat verrouillé ?

Zoom d’actualité

, par CRISLA , LE SANN Alain

Le 12 novembre dernier, les États-Unis et la Chine se sont entendus - en dehors du cadre des négociations internationales - sur un accord présentant des objectifs de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Cette annonce des deux plus grands pollueurs du monde est-elle à la hauteur des enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique ?

Maigres espoirs et vrais questionnements

Cette déclaration conjointe a été saluée par de nombreux politiques et médias. Que contient-elle ? Les États-Unis y annoncent une réduction de 26 à 28 % de leurs émissions d’ici 2025 par rapport à 2005. Un engagement à court terme donc...
Quant à la Chine, elle envisage d’utiliser encore quelque temps son droit à polluer pour se développer et ralentira ses émissions dans un calendrier plus éloigné, quand elle aura atteint un pic, autour de 2030, si possible avant, est-il précisé.

Cette annonce a fait naître des espoirs dans le camp des organisations les plus engagées sur ce chantier de longue haleine. Le réseau Avaaz, à l’origine des marches pour le climat, évoque « une victoire qui change le monde ». Car c’est aussi la première fois que la Chine accepte de limiter ses émissions absolues de gaz carbonique. Pour de nombreux journalistes et commentateurs, cet accord sino-américain est crucial pour pouvoir faire aboutir les négociations climatiques lors de la COP 21 de Paris, en 2015.

Mais ces espoirs restent mitigés, comme en témoigne la prise de position du Réseau Action Climat, qui parle d’un grand pas pour les négociations mais de petits pas pour le climat. Surtout quand on sait que le 5e Rapport du GIEC, le groupe d’experts sur le climat, préconise des réductions de 40 % à 70 % des émissions mondiales d’ici 2050 (par rapport à 2010), et un niveau « proche de zéro » d’ici à 2100 pour ne pas dépasser un réchauffement climatique global de 2°C.

Des observateurs bien informés sont même plus pessimistes et contestent le caractère historique et novateur de cet accord non contraignant, qui n’est pas à même de peser sur la donne climatique, comme en témoigne une journaliste du Journal de l’environnement. Cet accord confirme simplement que les deux pays poursuivent leur tendance à une lente décarbonisation de leur économie, amorcée depuis 2008. Sur son blog, le militant écologiste Maxime Combes va plus loin dans l’analyse critique car cet accord signifie « qu’aucune des deux puissances ne souhaite s’engager à la hauteur des enjeux ».

Cet accord ne dit pas non plus comment ces deux puissances vont parvenir à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Envisagée un temps par les États-Unis pour remplacer une part importante de leurs centrales à charbon et réduire ainsi leurs émissions de gaz à effet de serre, l’extraction de gaz de schiste n’est plus la "révolution" annoncée en raison des difficultés de son exploitation et de sa faible rentabilité, ce qui conduit aujourd’hui les pétroliers à faire marche arrière. Mais qui sait quelles autres fausses bonnes solutions pourraient être envisagées par les deux puissances ? Si la Chine réclame encore son droit à polluer pour se développer, alors même que le modèle productiviste a prouvé son échec, comment parvenir à un changement de modèle de développement ?

Un accord bilatéral pour mieux se soustraire du cadre des négociations internationales ?

Si cet accord conjoint des deux plus grandes puissances mondiales peut sembler une bonne nouvelle, il n’en reste pas moins qu’il s’est produit en dehors de toute négociation internationale. Par ce geste, les diplomaties américaine et chinoise font passer le message qu’elles ne se laisseront pas imposer des objectifs ; elles marginalisent et délégitiment de fait les négociations internationales.

Des négociations internationales qui, par ailleurs, peinent à déboucher sur des avancées significatives qui empêcheraient le pire de se produire. La COP 19 à Varsovie en novembre 2013 avait été récupérée par les lobbys du secteur privé, comme en témoigne la militante et chercheuse brésilienne Camila Moreno.
La COP20, qui se déroule en ce moment au Pérou, dans un contexte de criminalisation des mouvements écologistes, sera néanmoins déterminante pour répondre à l’urgence climatique et pour préparer la dernière phase de négociations avant la COP21 de Paris, qui devrait aboutir à un accord international décisif. Les ONG et les mouvements sociaux et écologistes auront fort à faire dans ce processus mais depuis la Pre COP sociale de novembre dernier au Venezuela, le dialogue est amorcé avec les gouvernements, face à la menace que représente le changement climatique pour l’ensemble de l’humanité.

Marche d’ouverture du Sommet des peuples, Lima, Pérou, 10 décembre 2014. Photo Damián Profeta CC BY-NC-SA 2.0

Gageons que la voix des sociétés civiles du Sommet des Peuples, à travers des recommandations comme celles de la déclaration finale issue de la Pre Cop sociale puisse être entendue à Lima, pour poser le rythme de l’année 2015 et définir les fondations d’un accord à la hauteur des enjeux.