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Burundi : Plaidoyer pour la sécurisation des droits fonciers

Association pour la Paix et les Droits de l’Homme

, par Juristes Solidarités

Cet article a été écrit par Juristes-Solidarités, à partir d’une rencontre avec René-Claude Niyonkuru (Association pour la Paix et les Droits de l’Homme).

Logo de l’APDH - Burundi

L’Association pour la Paix et les Droits de l’Homme (APDH) était à l’origine un club scolaire des Droits de l’Homme né du contexte de crise et de massacres de 1994 au Burundi. L’organisation est aujourd’hui engagée dans la promotion de la justice, la consolidation de la paix et de la démocratie, la résolution des conflits (principalement fonciers) ainsi que dans l’éducation aux droits humains. Elle travaille avec les communautés, les institutions publiques et un réseau d’organisations de la société civile, au niveau national et international.

Forte de son expertise sur les questions foncières, l’APDH a mené depuis 2003 un plaidoyer en vue de la révision du code foncier burundais, ainsi qu’une expérience pilote de décentralisation de la gestion foncière.

La nécessité d’une réforme foncière dans le contexte de l’après-guerre

Les principales dispositions du Code foncier de 1986 s’avéraient en effet désuètes. Parce que ce code avait été établi dans un contexte de paix, plusieurs situations nées de la guerre civile ne trouvaient pas de solution dans le droit écrit. En outre, la procédure d’attribution des terres appartenant au domaine privé de l’État était inadaptée, notamment en raison de l’absence de différents niveaux de délibération dans le processus de prise de décision. Les autorités compétentes [1] n’ayant pas l’obligation de consulter d’autres organes pour rendre leur décision, nombreuses étaient les fraudes, les attributions de terre abusives, particulièrement en période de crise.

La création d’une commission foncière nationale

L’une des mesures innovantes du nouveau Code foncier est la création d’une Commission foncière nationale. Désormais, aucune autorité ne pourra attribuer une terre sous forme de cession, de concession ou procéder à l’expropriation sans l’avis préalable et favorable de la Commission foncière nationale.

L’enjeu de cette réforme est de garantir le respect de critères objectifs ainsi qu’une forme de transparence. De plus, certaines autorités, comme les gouverneurs de province, n’ont plus la compétence en matière d’attribution de terre afin d’éviter les fraudes. De même, la cession à titre gratuit ne peut être réalisée qu’au profit des personnes sans terre et d’associations à caractère scientifique, philanthropique, religieux, social ou culturel ou d’établissements mettant en œuvre des projets d’utilité publique.

Enfin, afin de freiner le phénomène d’accaparement des terres, des dispositions spécifiques concernant les étrangers ont été ajoutées au Code foncier. Cependant, l’APDH note que l’effectivité de ces mesures n’est pas garantie, du fait du coût de fonctionnement de la Commission nationale et du contexte de forte corruption. En outre, la modernisation du code doit s’accompagner d’une vulgarisation de son contenu auprès des populations. L’APDH projette ainsi de mettre en place des structures communautaires capables de sensibiliser les habitants et d’assurer une veille afin de repérer les points positifs et les défaillances du nouveau texte ainsi que son degré d’application et d’applicabilité.

Se rapprocher de la population pour sécuriser la terre

Par ailleurs, afin de réduire l’insécurité foncière des populations rurales qui ne détiennent pas de certificat de propriété de la terre qu’elles occupent, l’APDH a développé des expériences pilotes de décentralisation de la gestion foncière. Cette initiative s’est appuyée sur un document de politique nationale de décentralisation adopté en 2008 par le gouvernement. En prévoyant une autonomisation des communes, il ouvrait en effet une brèche pour que la gestion de la terre soit opérée au niveau communal.

Ainsi, l’APDH a appuyé techniquement et financièrement 21 communes dans la mise en place et le fonctionnement de services fonciers. Il s’agissait de fournir aux paysans un service de proximité facile d’accès et peu coûteux pour qu’ils obtiennent plus facilement des certificats de propriété foncière.

Afin d’éviter les fraudes et l’émergence de conflits, toute demande de certificat de propriété donnait lieu à une constatation publique et transparente organisée au niveau des collines. Tous les intéressés (parentés, propriétaires des parcelles avoisinantes, éventuels opposants, etc.) étaient invités à participer à la reconnaissance de la parcelle car la validation des droits nécessitait leur consensus. En cas d’objection, la délivrance du certificat foncier était reportée jusqu’à ce que le conflit soit résolu.

Ce projet s’est heurté à deux obstacles. La première difficulté était d’ordre financière, les communes n’ayant pas les ressources nécessaires pour rémunérer les personnes qui travaillent dans les services fonciers. Grâce à un plaidoyer mené auprès de l’Assemblée nationale, les agents du service foncier communal vont devenir des agents de la fonction publique et seront par conséquent payés par l’État. Ensuite, les certificats délivrés par les services communaux n’avaient au départ pas de valeur juridique. Désormais, le nouveau Code foncier permettra au détenteur d’un certificat de propriété délivré par une commune d’exercer des actes juridiques.

Les limites de la réforme

Seules onze communes sur 129 ont participé à cette expérimentation. Mais l’accès équitable à ces services sur l’ensemble des communes n’est pas garanti, au regard des ressources humaines, techniques et financières que cela nécessiterait.
De plus, le service national du cadastre et le service des titres fonciers semblent hésiter à collaborer avec les services fonciers communaux. Doit-on y voir de leur part la crainte d’une éventuelle concurrence, quand cette initiative repose au contraire sur la complémentarité des deux services ?

En outre l’APDH observe que la décentralisation de la gestion foncière a principalement été portée par des projets de coopération, essentiellement sur le plan technique et financier. La réussite de la mise en application des réformes foncières repose maintenant sur la volonté politique du Gouvernement burundais.

Si ces réformes vont dans le sens du respect des droits des populations, elles restent aujourd’hui incomplètes. Muet sur les successions, sur l’aménagement du territoire, sur les questions de sécurité alimentaire, le code ne répond pas à l’ensemble des besoins de la population. L’accès à la terre des populations vulnérables comme les femmes, les populations autochtones ou les orphelins n’est garanti ni par le processus de décentralisation foncière ni par le nouveau Code foncier. Ces réformes effectuées doivent aujourd’hui constituer un point d’entrée afin d’améliorer les questions de gouvernance en général et de gouvernance foncière en particulier.

Notes

[1Les autorités compétentes varient selon la superficie du terrain et selon si elles se situent en milieu rural ou urbain. Il peut s’agir du gouverneur de province, du ministre de l’Agriculture, du ministre ayant l’urbanisme dans ses attributions, ou du Président de la République.

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