Les conflits oubliés du Soudan

Les conflits dans la région du Darfour

, par Forum Réfugiés

Si le conflit au Darfour naît « officiellement » en 2003 lorsque des tribus marginalisées par le pouvoir central de Khartoum prennent les armes et affrontent les troupes gouvernementales, les origines du conflit remontent à une époque bien antérieure. En 1985, le régime militaire du général Nimeiri s’effondre à la suite d’un coup d’État et est aussitôt remplacé par un régime parlementaire, faisant naître de grands espoirs démocratiques. Cette année-là est dans le même temps désastreuse pour les populations du Darfour, qui subissent de plein fouet la sécheresse au Sahel et la famine qui en résulte. Un premier conflit oppose la principale ethnie de la région, les Four, et les populations arabes pour des raisons essentiellement de territoires et d’accès aux ressources, entre 1987 et 1989. Déjà à cette époque, les milices arabes sont appelées les janjawids. Les Four ont même tendance à appeler tout arabe, milicien ou non, un janjawid.

Camp de Zam Zam pour les déplacés internes du Nord Darfour, mai 2013. Photo UNAMID cc by-nc-nd

Sadik al-Mahdi, qui prend le pouvoir en 1986 en promettant un régime démocratique, semble se ranger du côté des populations arabes du Darfour au détriment des populations noires. Les élites non-arabes se rallient au pouvoir, permettant au conflit de s’apaiser un temps. La contestation du régime central se fait donc discrète et est principalement menée par des jeunes personnes originaires du Darfour venus étudier à Khartoum : iels se rendent alors compte que leur région d’origine est délaissée par le pouvoir central, et qu’il est ainsi quasiment impossible, en étant originaire du Darfour ou de tout autre région périphérique, quelle que soit son origine ethnique, d’atteindre des postes au sein de l’administration publique ou militaire.

Cette frustration mène des opposant·es à la lutte armée en 2001, avec la création du Mouvement de libération du Darfour, rebaptisé en 2003 Armée de libération du Soudan (SLA selon le sigle en anglais), et du Mouvement pour la Justice et l’Égalité (JEM selon le sigle en anglais). Si ces deux mouvements ont officiellement un discours portant sur la critique de la marginalisation du Darfour, ils ont assis leur légitimité au sein de la population rurale darfourie en mettant en avant les origines ethniques respectives de leurs leaders afin d’obtenir le soutien des chefs de tribus. Cette situation a participé de l’exacerbation des conflits ethniques, opposant les ethnies arabes et non-arabes d’un côté, et les ethnies majoritaires non arabes de l’autre : Zaghawa, Four et Massalit.

Selon Jérôme Tubiana, chercheur spécialiste du Soudan, le Darfour possède un « système foncier unique, très élaboré et très ancien ». Dans ce système, certains groupes, dont une grande partie des ethnies non-arabes, possèdent un « droit moral sur la terre ». Ce droit n’interdit cependant pas aux autres groupes de s’installer sur ces terres. Les déplacements de populations causés par les grands épisodes de sécheresse des années 1980 ont poussé de nombreuses tribus nomades à se déplacer plus loin qu’à leur habitude : des terres appartenant historiquement aux Four ou aux Massalit ont commencé à être revendiquées par des populations arabes nomades. Selon Jérôme Tubiana, de simples vols de chameaux ont ainsi rapidement dégénéré en conflits meurtriers.
L’absence de négociation et d’intervention d’une autorité centrale capable de gérer ces conflits envenime la situation et accentue la frustration des populations non-arabes délaissées depuis plusieurs années. Pire encore, le gouvernement s’appuie sur les populations arabes pour venir à bout des mouvements armés qui se créent au Darfour, en les armant davantage.
La guerre au Darfour débute réellement en avril 2003, à la suite d’une attaque menée par la SLA et le JEM contre la capitale du Darfour du Nord, El-Fasher : cette attaque est une humiliation pour Khartoum qui sous-estimait jusque-là les capacités d’action de ces deux groupes. La politique contre-insurrectionnelle menée par Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 1989, est dévastatrice. Dès cette attaque, les forces armées recrutent au sein des populations arabes et soutiennent massivement les milices janjawids. Ces dernières agiront en toute impunité durant des années. Le conflit perd peu à peu de sa substance politique, pour ne devenir qu’affrontements ethniques où les alliances se font et se défont  [1]. C’est ce conflit meurtrier qui vaut à l’ancien président soudanais, Omar el-Béchir, d’être accusé par la CPI de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide : entre 2003 et 2008, les milices janjawids sont accusées de procéder à un nettoyage ethnique de la région en toute impunité et avec le concours des forces armées régulières de Khartoum.

Aujourd’hui, les populations du Darfour sont victimes de la guerre que mènent les deux armées adversaires qui s’affrontent depuis le 15 avril 2023. Au Darfour, le conflit est désormais ethnique : des rescapé·es ont raconté comment des milices arabes alliées des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo abattent des civil·es uniquement parce qu’iels ne sont pas arabes.