Agrocarburants, les choix aventureux de l’agrobusiness

Agrocarburants et modèle de développement

, par CITIM

Dans les pays du Sud

Les agrocarburants ont été promus dans le contexte mondial d’une double crise, climatique et énergétique, mais ils participent de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le greenwashing. On veut nous faire croire qu’ils servent à la lutte contre la crise climatique en réduisant les émissions de GES, qu’ils sont une solution face à l’épuisement des énergies fossiles et qu’ils offrent de nouveaux débouchés pour l’agriculture. De toutes ces perspectives, l’une des plus fonctionnelles est certainement celle qui prétend offrir de nouveaux débouchés à l’agriculture, malgré toutes les conséquences qui ont été évoquées sur les exploitations paysannes et familiales, la sécurité alimentaire et la gestion des terres agricoles et des forêts.

A l’image du Brésil et du Sénégal, que ce soit en Amérique, en Afrique ou en Asie du Sud-Est, de nombreux pays du Sud participent à l’engouement pour les agrocarburants, et ce faisant, à la perpétuation de l’économie de marché, en se positionnant comme des exportateurs d’agrocarburants. Ce qui suppose une production à grande échelle sur le modèle des monocultures et de l’agriculture industrielle.

Au cours du siècle dernier, la "Révolution verte", soutenue par les compagnies de l’agroalimentaire et elle aussi dépendante du pétrole, avait déjà démantelé l’agriculture paysanne et les marchés locaux et entraîné la perte de 75 % de la biodiversité. L’idéologie du "développement", élaborée après la seconde guerre mondiale comme une manière d’étendre le colonialisme, cachait mal la continuité et le renforcement de la logique de pillage. A la fin du XXème siècle, le développement s’habilla en vert et le terme de "développement soutenable", quelle qu’ait pu être la sincérité de ses promoteurs, apparaît trop souvent comme un "soutien" à la domination du modèle colonial.

Après l’esclavage et la colonisation, le système libéral entend bien continuer sa mainmise sur le Sud ! Car enfin, même si le pétrole s’épuise, "le Nord" n’imagine pas (encore) comment il pourrait se passer de véhicules et d’avions, ou même accepter d’en réduire fortement l’usage.

Néanmoins, la riposte des pays du Sud s’organise. Lors d’une réunion tenue en Equateur fin juin 2007, des organisations du Sud ont publié un « Manifeste pour le dé-développement » où elles dénoncent les agrocarburants dans leur mission d’asseoir « l’occidentalisation du monde » et de concrétiser la dépendance des pays du Sud par rapport à ceux du Nord.
La question qui se pose aux citoyens de tous pays est donc désormais la suivante : est-il possible de changer de modèle ?

Besoins essentiels et inessentiels

« Manger ou conduire » est une expression que l’on rencontre fréquemment dans la presse quand il s’agit d’aborder les questions soulevées par la promotion des agrocarburants. Telle quelle, cette formule abrupte fait appel à un choix à opérer quant à la finalité des produits agricoles.

En 1968, le Club de Rome, dans son manifeste "Halte à la croissance ?", avait été l’un des premiers à lancer un appel à la sobriété. De nombreuses associations du Nord comme du Sud, des ONG, des chercheurs... ont rejoint cette problématique et estiment que chercher à tout prix des substituts au pétrole sans réduire notre consommation est une fausse bonne solution.

Non à la monoculture, oui à l’agriculture paysanne

Si les agrocarburants peuvent avoir une vertu, c’est dans le cadre d’une exploitation qui viserait à assurer la sécurité et l’autosuffisance alimentaire pour une consommation locale. Ce mode d’exploitation devrait s’inscrire dans une orientation du développement local et territorial où l’autogestion et l’intégration d’un ensemble d’activités, à la fois agricoles et de transformation, participent au mode de vie quotidien des acteurs concernés. Un certain nombre d’expériences ayant cours au Mali depuis des décennies ont démontré la pertinence d’un tel modèle : l’exploitation locale des agrocarburants a permis de faire fonctionner des moulins à mil et des forages d’eau pour permettre aux populations d’accéder à l’eau potable. De telles pratiques peuvent être étendues et faciliter par exemple l’électrification du monde rural, tout en développant d’autres activités essentielles à la vie quotidienne des autochtones.

En France, la Confédération paysanne a pour sa part précisé à quelles conditions il serait concevable d’utiliser des surfaces agricoles à des fins non alimentaires et éventuellement pour produire des agrocarburants tels que l’huile végétale pure :
présenter une efficacité énergétique optimale et des émissions de gaz à effet de serre minimales ; avoir un impact environnemental positif (en prenant en compte toute la chaîne de production et de distribution) ; générer des coproduits utilisables ; avoir un impact sur le revenu des paysans.