À Khartoum, une opposition politique verrouillée

, par Forum Réfugiés

L’indépendance du Soudan du Sud a mis à mal l’économie du Soudan. C’est en effet au Sud que se trouvait la majorité de la production pétrolière, soit 75%. Les accords de paix qui ont précédé l’indépendance prévoyait cependant qu’une rente soit reversée au Soudan, le Soudan du Sud utilisant les routes commerciales vers le Nord pour leurs exportations. Cela ne suffit cependant pas à l’économie soudanaise, toujours en proie à de grandes difficultés. Des manifestations de grande ampleur ont ainsi été régulièrement organisées pour protester contre le coût de la vie. En septembre 2013 à Khartoum, mais aussi dans des villes de province, des manifestations protestant contre l’arrêt des subventions pour l’achat de carburant mobilisent la population pendant plusieurs semaines : le gouvernement choisit la répression plutôt que le dialogue. Le bilan est dramatique : 185 morts, plusieurs centaines de blessés, et de nombreuses arrestations arbitraires. Depuis, les mouvements pacifiques sont systématiquement réprimés.

Les libertés de réunion, d’association et d’expression sont régulièrement bafouées et les violations des droits de l’homme sont fréquentes : le 8 mars 2014, les services de renseignements et de sécurité (la NISS) ont empêché la tenue de manifestations à l’occasion de la Journée internationale de la femme à Khartoum, le 11 mars, un étudiant a été tué par les services de sécurité au cours de la dispersion d’une manifestation organisée par une association d’étudiants darfouris à l’université de Khartoum, le 15 mars, les Forces du consensus national (FCN), une coalition de partis d’opposition, ont été interdits d’organiser une réunion publique à Khartoum, le 28 août, 16 militantes ont été arrêtées et une manifestation contre la détention de prisonnières politiques a été dispersée par la force devant la prison pour femme d’Ombdurman, etc. Tous ces exemples font état de la faible marge de manœuvre des militants soudanais, quelle que soit leur cause : les militants politiques sont pris pour cible, y compris les militants pacifiques et défenseurs des droits humains qui appellent à la fin des conflits au Soudan. Une lettre ouverte, « l’Appel du Soudan », appelant à la démocratie et à la fin des conflits, a valu à deux personnalités de la société civile et de l’opposition six mois d’emprisonnement en décembre 2014.

Les journaux font les frais de ces restrictions à la liberté d’expression. Depuis une loi entrée en vigueur en 2009, les services secrets et de renseignements peuvent empêcher toute publication qui porterait atteinte « à la sécurité nationale »…Grâce à une définition très large de ce concept, les autorités peuvent, en réalité, empêcher les publications d’articles gênants pour le pouvoir : cas de corruption, exactions des forces de sécurité, situation des droits humains en particulier dans les régions en conflits… Ainsi en 2014, les agents de la NISS ont procédé à cinquante-deux reprises à la confiscation de journaux dès leur impression. Pour le seul mois de février 2015, 21 journaux se sont vus confisquer au moins une édition. Selon l’ONG de défense de la liberté de la presse et des journalistes Reporters sans Frontières, ces saisies à répétition pèsent sur le budget des quotidiens et contribuent à une « stratégie d’asphyxie de la presse indépendante » [1].
De nombreux cas d’arrestations arbitraires et de harcèlement qui prennent la forme d’interrogatoires de journalistes sont également régulièrement relayés par des Organisations non-gouvernementales. En 2015, de nombreux militants politiques ont fait les frais de ces arrestations : Pour le seul mois d’août 2015, 17 membres de partis d’opposition dont la majorité du Parti du Congrès soudanais (Sudanese Congress Party – SCP) ont été arrêtés. Selon Reporters sans Frontières, des dizaines de personnes ont été arrêtés entre février et avril, soit pendant les périodes pré et post-électorales. Ces arrestations concernent toutes les régions soudanaises : deux étudiants d’El-Obeid au Kordofan ont été arrêtés après avoir participé à une réunion publique du Parti du Congrès (Congress Party). En juin et juillet au moins 28 membres de ce même parti ont été arrêtés à la suite de l’arrestation de leur leader.