(Dé)passer la frontière

Sommaire du dossier

Introduction

Passerelle n°19

, par ritimo

Nous vivons aujourd’hui dans un monde qui s’emmure : entre le Mexique et les États-Unis, Israël et la Palestine, l’Inde et le Bangladesh, la Hongrie et la Serbie, autour des enclaves espagnoles au Maroc... les murs se dressent et divisent. En ce début de 21 e siècle, on observe un mouvement global de fermeture des frontières où les États cherchent à limiter l’accès à leur territoire. Si ce durcissement peine à produire les résultats escomptés, il participe à la multiplication de situations alarmantes de violations des droits humains : de la mise en esclavage des migrant·es qui passent par la Libye aux milliers de morts en Méditerranée, en passant par les camps de réfugié·es, la traque, le harcèlement et les humiliations, les atteintes à notre humanité commune sont dangereusement en passe de devenir la norme.

Les frontières, leur gestion et leur actualité traversent les débats publics et médiatiques sur les migrations, attisant les controverses et les fantasmes, en particulier en Europe et en Amérique du Nord. Les frontières cristallisent un grand nombre d’enjeux – sociaux, (géo)politiques, économiques, historiques, et mobilisent une grande diversité d’idées, de projets de société et d’acteur·rices. Par conséquent, étudier et questionner la frontière et tout ce qu’elle véhicule comme symboles est indispensable pour penser l’avenir des territoires et de leurs populations dans une perspective de respect des droits fondamentaux et de liberté de circulation, de politiques d’accueil et de dignité humaine, et ce, autrement que sous le seul angle d’analyse de « la crise migratoire ».

L’objectif principal de ce numéro de la collection Passerelle est donc, d’une part, de proposer des pistes d’analyse et de réflexion sur les enjeux globaux autour des frontières en tant que réalité sociale, économique et politique ; et d’autre part, de jouer le rôle de porte-voix de celles et ceux qui défient les politiques de fermeture, ainsi que des idées et propositions qui remettent en cause régime des frontières actuellement dominant. Il s’organise en trois parties :

Dans un premier temps, cette publication aborde la construction et la réalité des frontières d’aujourd’hui. Comme tout ce qui a trait à l’humain et aux sociétés, il s’agit d’un fait social et politique qui reflète des processus historiques. Par ailleurs, étant donné l’évolution des moyens technologiques à disposition des États pour contrôler les frontières, la nature même de celles-ci évolue : contrôles autour des réseaux de transport, frontière mouvante que l’on porte sur le bout des doigts... Entre territorialisation et dématérialisation, qu’est-ce qu’une zone-frontière aujourd’hui ?

La deuxième partie explorera les enjeux politiques et économiques de la gestion actuelle des frontières ainsi que ses justifications : à quoi sert donc une frontière, et à qui ? La militarisation, l’édification de grillages et de murs, les dispositifs de surveillance, se développent en même temps que le discours sur « l’invasion des migrant·es » qui se popularise dans certaines franges de la population, nationalistes et xénophobes. La géopolitique mondiale tend également à intégrer de façon croissante un nouveau mode de gestion des frontières : externalisation, coopération policière internationale, négociations entre États autour de la fermeture des frontières... Il est essentiel de comprendre le message politique qu’envoie la « fortification » des frontières pour mieux s’y opposer.
Par ailleurs, les enjeux économiques de la fermeture des frontières sont tout aussi décisifs : disparités de « développement », exploitation d’une main d’œuvre sans papiers mais aussi explosion du marché de l’armement et de la surveillance, construction des murs très denses en technologie, recyclage de l’industrie militaire vers les opérateurs civils du contrôle des frontières sont constitutifs d’une véritable économie de la fermeture des frontières.

La dernière partie portera sur les récits de résistance et les réflexions qui remettent en question les frontières et le rôle qu’elles jouent aujourd’hui. Les récits, témoignages et expériences de personnes qui transgressent les lois frontalières, sont le relais de leur vécu et de leurs analyses personnelles et collectives. Comment remettre les droits fondamentaux au cœur de la vie sociale alors que les politiques publiques, en fermant les frontières, créent des situations d’une extrême violence ? Avec les expériences d’organisation collective, les actions directes ou la solidarité au quotidien, il n’y a pas qu’une seule façon de résister. Ici et là-bas, la diversité des personnes produit une pluralité de réponses face à l’injustice. Enfin, cette partie s’intéressera aux utopies concrètes de la construction d’un monde où la liberté de circulation serait garantie à tou·tes. Sommes-nous capables de penser un monde « sans frontières » ? Quels modes d’organisation sociale s’y verraient reflétés ? Les expériences qui remettent en cause les États-nations et leurs frontières avec des perspectives parfois radicalement différentes, seront aussi à explorer : mouvements régionalistes indépendantistes qui font bouger la ligne des frontières telles qu’elles sont aujourd’hui établies, peuples nomades qui comprennent le monde autrement, mouvements internationalistes...

Il s’agit donc bien d’établir des liens entre ce sujet d’une actualité brûlante et des dynamiques de long terme dans les différentes parties du monde, d’en éclairer les différents enjeux géopolitiques et économiques, et de donner de la visibilité aux luttes actives d’hier et d’aujourd’hui. C’est cette perspective qui est au cœur de ce nouveau numéro de la collection Passerelle : des réflexions et débats, des témoignages et des pistes d’horizons politiques qui nous permettront de mieux saisir les enjeux des frontières, afin de nous armer de meilleurs outils pour la justice sociale et la garantie des droits fondamentaux de toutes et tous.

Passerelle n°19 - (Dé)passer la frontière