Climat : choisir ou subir la transition ?

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Le temps des changements : bilan et perspectives de la COP20

, par MOCICC , ZAMBRANO Antonio

Il est nécessaire de comprendre le phénomène du changement climatique comme étant l’émission et la suspension de fortes concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et de fonder notre approche de ce phénomène sur ce qu’il représente réellement : une lutte pour nos territoires et la nécessité de s’attaquer à sa cause première, le système capitaliste dans sa phase actuelle d’expansion sur la nature. C’est sur cette base que s’organisent nombre des mouvements sociaux en faveur du climat sur notre planète, nous avons été un de ceux-là pendant la COP20 et aujourd’hui, nous sommes dans un processus d’articulation des luttes et des alternatives pour dépasser le contexte difficile créé par les négociations pour la COP21, et ce à travers des actions de masse et des actions locales qui prennent en compte l’aspect global de la question.

Pays super divers, hôte super fragile

L’évidence parait destructrice, si l’on en croit le GIEC (Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat- IPCC en anglais), il est à 95% certain que le phénomène du changement climatique ait pour cause les activités humaines et que nous en sommes arrivés là en faisant violence aux limites naturelles de manière presque irréversible.

De plus nous savons aujourd’hui avec la même certitude que le débat au niveau mondial ne se situe pas seulement dans le domaine scientifique. Au Pérou, pays hôte de la dernière conférence des parties des Nations unies sur cette question qui a eu lieu en décembre 2014 [1], nous le savons bien. Depuis plus de dix ans, les documents officiels et indépendants nous ont informés que notre pays se trouve parmi les dix pays qui seront les plus touchés par des phénomènes extrêmes et des changements au niveau de l’atmosphère pendant les décennies à venir, ce qui pourrait engendrer une perte de presque 15.4% de notre produit intérieur brut à la fin du siècle [2], et avec la probabilité qu’il en soit de même dans toute l’Amérique Latine.

Dans notre cas, avec 84 des 104 microclimats existants sur la planète et l’énorme biodiversité que cela représente sur les 1200000 km² de notre territoire, ce qui pourrait paraître une chance devient une source de nouvelles préoccupations, puisque nos climats se trouvent dans de petites et merveilleuses zones géographiques fortement exposées à l’intervention humaine et aux conditions extérieures.

Le processus social
Ces éléments, ajoutés au fait que pendant la COP20 devait être adopté un brouillon pour un nouvel accord mondial sur le climat, la marche était placée assez haute pour que nous ne puissions pas organiser les citoyens et les débats de la société civile avec suffisamment de force pour se faire entendre face aux réunions des États. Depuis le début, en juin 2013, le mouvement citoyen face au changement climatique qui avait alors moins de cinq ans d’existence comprenait que la force de tous ses membres réunis ne suffirait pas et qu’il était nécessaire de mettre en place un processus de masse, constituant et unitaire qui donne la possibilité de construire un discours commun des peuples face à des négociations qui ne les représentaient pas.

Dans un contexte dans lequel le tissu social du pays venait à peine de se remettre de la dictature de Alberto Fujimori et avec une profonde fragmentation sociale, les organisations sociales et populaires du pays se sont mobilisées, dans un grand front de près de 90 d’entre elles parmi lesquelles on retrouvait aussi bien des ONG de l’environnement, des corporations syndicales, des organisations paysannes, des indigènes de l’Amazonie, des féministes, des églises, des mouvements sociaux et une grande quantité d’organisations populaires qui luttent pour la défense de leurs territoires. Le groupe Pérou COP20, nom que ces organisations sont données alors, a commencé un gros travail de construction du débat sur les négociations depuis la base, en allant au delà des difficultés grâce à un processus de construction de l’unité dans l’action. Bien sûr, pas sans contradictions ni querelles historiques qui ont provoqué des retards mais qui en même temps ont donné naissance à 8 grands axes thématiques de discussion, à la mobilisation et aux débats, à savoir :
1. Changement de civilisation et modèle de développement
2. Réchauffement climatique et changement climatique
3. Énergie
4. Souveraineté alimentaire
5. Gestion durable du territoire
6. Financement, transfert de technologies et inter-apprentissage.
7. Femme et changement climatique
8. Le changement climatique dans le monde du travail

Autour de cela, deux éléments de la réalité ont posé le grand défi de ce moment historique : d’un côté la nécessité d’avancer vers un accord réel qui pousse les États et les nations du monde à des engagements ambitieux, justes et inaliénables pour freiner la crise climatique que vit aujourd’hui la planète, et d’un autre côté l’impératif catégorique des organisations d’élever la voix de ses luttes concrètes qui vont plus loin que les thèmes isolés du débat citoyen.

Les années précédentes aux débats firent que l’agenda pour le premier objectif fut clair. Il est primordial d’arrêter de stimuler l’extraction de combustibles fossiles à court terme, supprimer les subventions qui y sont données dans de nombreux pays de la planète et promouvoir le changement de matrices énergétiques et passer aux énergies renouvelables qui utilisent de l’énergie propre non conventionnelle, c’est à dire celles qui utilisent le soleil, le vent et la chaleur de la terre comme source d’énergie et qui ne coupent pas le flux des rivières et la vie comme le font les barrages hydroélectriques, qui produisent une énorme masse de méthane [3]. Mais pas seulement cela, il faut reconceptualiser l’énergie « propre » de manière à ce que ces nouvelles manières d’alimenter la société en énergie respectent les façons de vivre, les territoires et la relation entretenue avec la nature, et ne soit pas accaparée par le capital comme une marchandise. En plus, cela implique de débattre le sens des Mécanismes de Développement Propre -et des Mécanismes de Réduction des Émissions par la Déforestation et la Dégradation des Forêts- dans ce que l’on appelle « l’économie verte » et la dénoncer puisqu’elle constitue une fausse solution, une « solution de marché ».

L’autre élément tombait de son propre poids : le mouvement social en faveur du climat devait prendre la rue, s’exprimer et interpeller les villes et ses habitants et se manifester avec tant de force qu’il soit impossible de regarder ailleurs, c’est pour cela que l’initiative de la Cumbre de los Pueblos (Sommet des peuples) est une initiative du groupe Pérou COP20. Un espace de coordination des mouvements sociaux , syndicaux et indigènes, pour stimuler les occupations de l’espace public, des foires et un espace de convergence et de débat appelé Cumbre de los Pueblos frente al Cambio Climático [4] (Sommet des peuples face au changement climatique), qui a produit la Marcha Mundial en Defensa de la Madre tierra (marche mondiale pour la défense de la terre mère).

Il est important de noter ici que même si au début, le mouvement autochtone, les organisations syndicales et le mouvement pour l’environnement avaient pensé occuper différents espaces qui leur soient propres, nous avons réussi à converger en une marche unique où nous avons pu partager des symboles, des expressions et des récits. Le fruit de tout cela se laisse voir dans le logo et les messages qui ont été donnés aux médias dans lesquels nous avons pris pour cible directement le système comme le grand responsable pour pouvoir ensuite ouvrir des débats ponctuels en fonction des axes et des plate formes spécifiques à chaque organisation ou mouvement.

Arrivée de la marche mondiale pour la défense de la Terre Merre, Lima, 10 décembre 2014. Crédits : D.R

Les mouvements

2014 à été une année de mouvement et bien que partout sur la planète il y eu des actions de rue, il est à noter que trois mois à peine avant la COP20, le dimanche 21 septembre [5], un demi-million de personnes ont inondé les rues de New-York pendant le sommet sur le climat convoqué par Ban Kim Moon [6]dans ce qui à été appelé officiellement une « action catalyseur » et qui à été la plus grande manifestation pour le climat jamais organisée jusqu’alors ; un prélude parfait avant le sommet de Lima.

Dans le sud, d’un autre côté, la journée fut marquée par un message clair. Le 10 décembre, jour international des droits de l’homme, les peuples ont appelé à manifester dans les rues de Lima une humanité représentée dans toute sa diversité par ceux qui venaient de chacun des cinq continents, de chaque recoin de l’Amérique Latine et de toutes les régions du Pérou pour être ensemble avec un seul slogan, et une seule et multiple voix qui criait « changeons le système pas le climat », une référence claire à la nécessité de voir plus loin que ne le permettent les œillères du capitalisme et de prendre des mesures qui transcendent les marchés financiers et la privatisation de la nature.

Ce qui est possible, voulu, et nécessaire

Néanmoins, comme souvent, les attentes dépassaient largement la réalité et l’Appel de Lima pour l’action en faveur du climat [7] a réduit la possibilité de se mettre d’accord de manière collective puisque la présidence de la COP représentée par l’État péruvien a préféré sauver la rencontre en laissant à chaque État le soin de déterminer de manière individuelle ses engagements de réduction des émissions, remettant à plus tard des accords qui auront de ce fait peu de temps devant eux pour être considérés de manière sérieuse avant la COP 21.

Nous avons l’espoir que les contributions nationales (Intended Nationally Determined Contributions, INDCs en anglais) soient suffisamment audacieuses pour ne pas élever la température moyenne de la planète au delà de deux degrés Celsius étant donné que cela compromettrait l’existence de nombreuses formes de vie sur toute l’étendue du globe dans une dimension supérieure à ce que nous avons connu lors des dernières décennies.

Si on met de côté ces éléments de politique formelle, l’héritage est néanmoins important. Le mouvement social en faveur du climat se crée dans la chaleur de ces luttes, avec la conviction qu’il est nécessaire de construire une articulation globale avec une identité propre et des mécanismes qui désamorcent les débats sans fin du suivi ou non du calendrier des conférences des Nations unies. Nous ne pouvons pas nier l’importance des États ni des éléments de la réalité mais nous devons compter sur nos propres forces et dynamiques, nos discours et nos langages, nos récits et nos alternatives, si nous voulons faire plier le monstrueux capitalisme qui gouverne à l’intérieur des structures étatiques.

Nous savons que les possibles vont bien au delà de la vision des États aujourd’hui, que ce que nous voulons c’est nous construire nous mêmes et que nous le ferons
sans leur permission s’il le faut et avec les bras des peuples, et qu’il est nécessaire de continuer le mouvement car nous savons que c’est seulement dans l’organisation qu’il existe une possibilité de sortir de la crise dans laquelle nous nous trouvons.

Vers où allons nous

Il serait trop audacieux et prétentieux d’affirmer que tous les mouvements partagent les mêmes lectures de la réalité planétaire que nous vivons. Cependant, nous partageons et écoutons les mêmes alarmes qui sonnent depuis des points différents et annoncent un futur commun marqué par une planète en souffrance pour gérer la vie qu’elle accueille encore en son sein.

Il s’est passé des mois depuis le déroulement de la COP20 à Lima et l’ébullition des actions a retrouvé à nouveau son caractère local, dans un réseau d’activités singulières et coordonnées par les mouvements, qui tous attendent le moment de convergence à Paris à la fin de l’année.

Aussi bien la Coalition Climat 21, intégré par plus de cent organisations françaises
 qui se mobilise au côté d’organisations européennes et du monde entier- comme les espaces qui se créeront pendant la lutte, préparent leurs stratégies et ont promis qu’entre le 29 novembre et le 12 décembre, les fondations de la ville de Paris trembleront.

Le MOCICC comme organisation péruvienne a pris connaissance de ces événements et de la nécessité de leur articulation globale, motif pour lequel nous comprenons que les bases de notre travail se trouvent très clairement enracinées dans leur territoire, depuis la construction historique de nos sociétés et ses formes de pouvoir populaire face aux limitations de la représentation des États.

Aujourd’hui, nos efforts passent par la mise en relation ce travail de base avec les écoles, avec les places, avec les jeunes dans les quartiers et par un dialogue entre les différents mouvements, pour en comprendre les flux depuis le local vers le global. C’est l’énorme tâche que nous nous sommes donnée au quotidien.

La maison commune n’a jamais été aussi petite, aussi interconnectée, ni aussi pleine de dangers imminents. Les alternatives locales émergent de tous les côtés et de façon multiforme mais liées par un sens commun. L’agroécologie, l’agriculture familiale organisée, les communautés paysannes avec leur connaissance ancestrale, les communautés amazoniennes, les nouvelles manières de comprendre les villes soutenables, les espaces politiques pour discuter du climat et des organisations qui se mobilisent dans des espaces virtuels et construisent des projets d’éducation environnementale et de conscientisation citoyenne, toutes partagent divers espaces de convergence et se rapprochent petit à petit depuis leurs territoires en lutte. D’une manière ou d’une autre, 2016 sera une année bien différente.